Édouard Herriot (17 juin 1924)

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Édouard Herriot (1924) : Le programme du Gouvernement républicain (17 juin 1924)

Édouard Herriot est nommé Président du Conseil le 14 juin 1924 par le nouveau Président de la République, Gaston Doumergue, après que le Cartel des gauches a remporté les élections de mai.
Dans ce discours, il présente le programme du Gouvernement.
Ardent défenseur de la laïcité, il souhaite étendre les lois laïques à l’Alsace-Lorraine et rompre les relations diplomatiques avec le Vatican mais il est désavoué par le Conseil d'État, le Sénat et l’opposition populaire.
N’ayant pas trouvé de remède à la crise économique qui touche la France, il doit démissionner le 10 avril 1925. Par la suite, Édouard Herriot a présidé la Chambre des députés puis l’Assemblée nationale.

  

  

Au-dedans, comme au-dehors, le Gouvernement n'aura qu'un but : donner à ce pays, dans le travail et par le progrès, la paix qu'il a si noblement méritée.

La paix morale, tout d'abord. Si nous sommes décidés à ne pas maintenir une ambassade près le Vatican et à appliquer la loi sur les congrégations... ce n'est en aucune façon dans une pensée de persécution ou d'intolérance.

Nous prétendons seulement assurer la souveraineté républicaine, ainsi que la distinction nécessaire entre le domaine des croyances et celui des affaires publiques.

L'idée de laïcité, telle que nous la concevons, nous apparaît comme la sauvegarde de l'unité et de la fraternité nationales. Les convictions personnelles, tant qu'elles ne portent pas atteinte à la loi, nous avons l'obligation de les ignorer; nous ne pouvons les connaître, le cas échéant, que pour les protéger. De même notre ambition est de donner à la France la paix sociale. Pour marquer nos intentions par des actes, nous procéderons tout d'abord à une série de mesures bienveillantes.

Nous déposons aujourd'hui même un projet de large amnistie qui n'exclut que les traîtres et les insoumis.

Nous poursuivrons la réintégration des agents de chemins de fer révoqués. [...]

L'oeuvre politique accomplie, une autre oeuvre s'impose. Il faut organiser la démocratie. Les vrais fauteurs de désordre, ce sont ceux qui se refusent aux réformes légitimes. Dans une démocratie, il n'y a d'équilibre stable que par le mouvement.

Nous ne laisserons pas toucher aux avantages acquis par le monde du travail. Nous maintiendrons la loi de huit heures dont l'expérience a démontré la souplesse et qui a déjà si profondément amélioré la condition matérielle et morale du salarié. [...]

Mais l'agent essentiel de la production, ouvrier ou paysan, a le droit d'être protégé contre le chômage et la maladie, la vieillesse et l'invalidité. Nous voulons réaliser les assurances sociales... et en faire pour la démocratie un statut de santé, de sécurité familiale, de dignité. Il n'est pas possible de concevoir l'affranchissement des travailleurs sans le développement de l'instruction. [...]

Nous pensons aussi que la démocratie ne sera pas complètement fondée tant que, dans notre pays, l'accession à l'enseignement secondaire sera déterminée par la fortune des parents et non, comme il convient, par le mérite des enfants.

Un régime démocratique doit offrir l'exemple de l'ordre et de la bonne administration. Comment pourrions-nous, sans de sévères finances, réaliser notre programme? Comment pourrions-nous lutter contre la vie chère, ce fléau du lendemain de la guerre, qui accable non seulement les salariés, mais la classe moyenne. Parce qu'il est la garantie nécessaire de toute notre action, nous serons les gardiens vigilants du crédit de la France. [...]

Nous ferons de l'impôt sur le revenu, sincèrement appliqué, la base d'une fiscalité vraiment démocratique. Lors du prochain budget, nous chercherons dans un nouvel aménagement des impôts directs, le moyen d'atténuer les charges créées par les impôts de consommation et spécialement par la taxe sur le chiffre d'affaires. [...]
II nous reste, Messieurs, à nous expliquer devant vous sur notre politique extérieure et sur la sécurité de la France. [...]

La France répudie expressément toute pensée d'annexion ou de conquête. Ce qu'elle veut, c'est la sécurité dans la dignité et dans l'indépendance. Ce qu'elle veut, c'est la paix. Pour elle d'abord. Pour les autres peuples aussi. [...]

Cela dit, nous déclarons que notre gouvernement agira de tous ses moyens pour donner aux nations, que l'exemple de la France doit guider, une paix sincère et durable. Nous encouragerons et aiderons de notre mieux, dans tous les peuples, l'esprit démocratique dont nous nous réclamons nous-mêmes. Nous ferons tout ce qui dépendra de nous pour fortifier la Société des

Nations et toutes les institutions internationales d'information, de rapprochement ou d'arbitrage.

Pour pacifier, nous ferons plus. La France ignore la haine; il lui surfit d'être appuyée sur la justice. Notre gouvernement ne saurait avoir aucune faiblesse à l'égard de ceux qui, en Allemagne, n'ont pas renoncé à mutiler les traités, à entretenir, avec l'esprit de revanche, les idées de restauration monarchique. Mais il souhaite voir la démocratie allemande se raffermir [...], le Gouvernement de la République saura répondre aux efforts d'une Allemagne qui s'engagerait avec décision dans les voies de la démocratie et de la paix.

Des événements tragiques, des divergences de doctrines qui nous séparent du Gouvernement de Moscou ne nous font pas oublier que le peuple russe a longuement saigné sur le commun champ de bataille. Nous préparons dès maintenant la reprise des relations normales avec la Russie...

Tel est, Messieurs, le programme de notre gouvernement. Dès le premier jour, nous vous apportons des actes. Nous avons parlé avec précision; si vous nous approuvez, nous irons droit sur notre chemin. Pour accomplir les tâches redoutables qu'imposent les temps nouveaux, il n'est pas de moyen d'action préférable à la probité. La seule politique digne d'une démocratie comme la nôtre et d'un pays comme la France est celle qui veut fonder ouvertement ses méthodes sur la science et confondre ses buts avec les fins mêmes de la morale, dans l'intérêt de toute la nation.