Maurice Faure (5 juillet 1957)

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Maurice Faure (1957) : Ratification des traités de Rome (5 juillet 1957)

Le 9 mai 1950, lors d'une conférence de presse au salon de l'horloge du Quai d'Orsay, Robert Schuman, alors ministre des affaires étrangères, propose au pays européens l'organisation d'un pool du charbon et de l'acier sous une Haute Autorité supranationale. Mais le 30 août 1954, l'Assemblée nationale marque un coup d'arrêt à l'édification d'une Europe intégrée en refusant la ratification du traité relatif à la communauté européenne de défense (CED) bâtie sur le modèle de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA). Les gouvernements des six membres de la CECA - l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas - décident néanmoins de poursuivre la construction européenne dans le domaine économique par la création d'un marché commun. A cette fin une conférence intergouvernementale s'ouvre en juin 1956 au château de Val Duchesse dans la banlieue de Bruxelles. Peu après, la crise de Suez fait prendre conscience de la nécessité de parvenir à l'autosuffisance énergétique au moyen de la création d'une communauté européenne de l'énergie atomique visant alors au développement d'une industrie nucléaire européenne. Jeune secrétaire d'État aux affaires étrangères du gouvernement de Guy Mollet, Maurice Faure dirige durant les négociations la délégation française composée aussi de Robert Marjolin et Jean-François Deniau. Il accompagne Christian Pineau, ministre des affaires étrangères lors de la signature des traités de Rome. En effet, les Six signent au Capitole deux traités distincts créant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA) ou Euratom.

C'est le gouvernement de Maurice Bourgès-Maunoury qui demande au Parlement d'autoriser la ratification des traités. Maurice Faure, qui incarne avec Félix Gaillard et Maurice Bourgès-Maunoury le renouveau au parti radical, défend le dessein communautaire relancé à Messine en 1955. Attaché au processus de transfert des compétences, il tient à dissiper critiques et malentendus considérant quant à lui les traités comme un cadre encore incomplet fixant quelques grands objectifs. À l'Assemblée nationale, au terme d'un débat s'étant déroulé du 2 au 10 juillet 1957, la ratification est autorisée par 342 voix contre 239. Ont voté pour, socialistes, UDSR, une partie des radicaux, MRP, droite modérée ; ont voté contre, communistes, gaullistes, poujadistes, une partie des radicaux avec Pierre Mendès France.

    

  

M. Maurice Faure, secrétaire d'État aux affaires étrangères : Mesdames, messieurs, [...] à la fin de ce débat, qui doit se clore par un vote la semaine prochaine, va trouver sa conclusion devant notre Assemblée le grand dessein lancé à Messine, voici un peu plus de deux ans, par les six ministres des Affaires étrangères des six pays de la CECA où la France était représentée par M. le président Pinay, alors ministre des Affaires étrangères du gouvernement Edgar Faure.

Le gouvernement Guy Mollet a pris l'héritage de son prédécesseur sur ce point...

M. Robert Chambeiron : Et sur d'autres !

M. le secrétaire d'État aux affaires étrangères : ... et a fait avancer la négociation de Bruxelles jusqu'à sa conclusion le 25 mars dernier à Rome.

Le gouvernement Bourgès-Maunoury soumet les deux traités à la ratification des assemblées parlementaires.

Il y a là un exemple de continuité de notre vie politique nationale qui mérite d'être relevé, tant il est vrai que souvent nous sommes précisément accusés d'en manquer.

Le débat actuel est d'ailleurs particulièrement simplifié par les deux débats préliminaires qui ont eu lieu, l'un sur l'Euratom, l'autre sur le marché commun, il y a six mois. [...]

Le problème est donc aujourd'hui de savoir si les traités signés le 25 mars dernier et que vous êtes appelés aujourd'hui à ratifier sont conformes aux engagements que le Gouvernement avait pris envers vous lors de ces deux débats.

La réponse est clairement affirmative, tant il est vrai que je n'ai entendu jusqu'à cet instant aucun orateur dire que le Gouvernement, dans la négociation, n'avait pas tenu les engagements qu'il avait pris devant l'Assemblée.

Sur un seul point, celui de la représentation et du contrôle parlementaire, le Gouvernement s'est écarté de ses précédentes déclarations avec la conviction, d'ailleurs, de rencontrer les préoccupations de cette Assemblée. M. le ministre des Affaires étrangères se réserve de traiter demain cette question.

Il me reste donc à dissiper quelques malentendus qui subsistent encore et à tenter d'exprimer de nouveau devant l'Assemblée le sens général de la politique européenne du Gouvernement.

Au fond, dans ce débat - je parle ici des interlocuteurs -, nul n'a contesté sérieusement les vertus et les bienfaits d'un grand marché.

Nul n'a contesté que des débouchés supérieurs pourraient ainsi être donnés à notre économie et qu'à terme cet élargissement des débouchés ne tende à l'élévation du niveau de vie de la population.

Mais des craintes, fort légitimes d'ailleurs, ont été exprimées sur le point suivant : résisterons-nous aux premiers chocs ?

Je dois dire que ces craintes sont fondées. Celui qui vous parle en cet instant et qui a été négociateur du Traité les a souvent ressenties lui-même. Il voudrait donc vous faire part du processus de pensée qui l'a conduit à une conclusion optimiste, c'est-à-dire à la conclusion que l'application du traité de marché commun sera en définitive bénéfique pour notre économie, cela par l'enchaînement de deux idées dont on voit, si l'on veut bien approfondir le débat, qu'elles sont étroitement liées.

La première, c'est que la France ne peut plus aujourd'hui vivre en autarcie.

La deuxième consiste à poser la question de savoir si, dans ce nécessaire assainissement de notre situation éco­nomique, le marché commun aggravera nos difficultés ou si, au contraire, il facilitera cet assainissement. [...]

Si nous voulons, en effet, comparer l'état actuel de l'économie française et la situation de cette même économie à la veille de la dernière guerre, nous sommes obligés de constater que notre expansion, qui a été remarquable depuis dix ans, nous condamne à importer toujours davantage, aussi bien des matières premières que des sources d'énergie. C'est ainsi, par exemple, que nos importations de pétrole sont aujourd'hui plus de quatre fois supérieures à celles de 1938.

Pour faire face à cet accroissement d'importations, nous sommes obligés d'exporter davantage. La crise de la balance des payements que nous connaissons aujourd'hui n'a pas d'autre origine.

Que nous le voulions ou non, qu'il y ait marché commun ou non, nous sommes dans la nécessité de moderniser nos structures, d'abaisser nos prix de revient pour les rendre compétitifs sur le plan international, sans quoi c'est la décadence ou ce que notre collègue M. Giscard d'Estaing appelait hier l'asphyxie. [...]

Il ne faut pas s'hypnotiser sur ce seul aspect du problème, ce seul élément du prix de revient que constitue la charge horaire du salaire.

Voilà, mesdames, messieurs, ce que je voulais déclarer à propos des harmo­nisations sociales.

Sur les harmonisations fiscales, je reconnais que le Traité édicte un principe général, un voeu et qu'il confie à la Commission le soin de faire toute enquête nécessaire et de jouer le rôle de conseiller auprès des gouvernements de pays membres pour pousser le plus loin possible les harmonisations fiscales. [...]

J'en viens aux préoccupations qui ont été exprimées à cette tribune par ceux de nos collègues qui ont invoqué les articles 108 et 109 du Traité.

Ainsi, ont-ils dit, lorsqu'une crise grave de notre balance des payements viendra à se produire, notre pays sera totalement désarmé et n'aura plus qu'à obéir aux injonctions venues de l'extérieur et qui lui seraient imposées par la majorité qualifiée du Conseil des ministres, c'est-à-dire par les cinq autres.

Mes chers collègues, je serai très franc sur ce point : que penseriez-vous d'une communauté dans laquelle chacun pourrait, de sa propre volonté, unilatéralement, et sans faire la moindre référence à aucun contrôle de caractère communautaire, rétablir barrières douanières et contingents ? Moi, je sais ce qu'il faudrait en penser : ce serait une communauté condamnée à mourir avant même d'avoir vu le jour.

Nous sommes ici au coeur du débat. Ceux qui n'acceptent en aucun cas la procédure communautaire, ceux qui sont à tout prix pour la règle d'unanimité, ceux qui ont le culte du veto, ceux-là ne doivent pas voter la ratification du Traité.

Le génie des traités - il ne doit y avoir sur ce point aucune équivoque -, c'est d'opérer des transferts de compétence. Dans certains cas, qui ont été définis le plus limitativement possible, et dans un esprit empirique, il est apparu nécessaire, en effet, de consentir certains transferts de compétence au Conseil des ministres statuant à la majorité qualifiée.

Reprenons ce cas de crise grave de la balance des payements. Que pouvons-nous demander à nos partenaires ? Nous pouvons leur demander leur aide - c'est prévu - et aussi de l'objectivité. Et les mesures qu'ils suggéreraient ne s'apparenteraient pas à un diktat ; elles seraient le résultat d'un dialogue. [...]

Mais, ce que, surtout, je n'arrive pas à concevoir, c'est l'intérêt qu'auraient cinq partenaires à ruiner systématiquement le sixième ; car je ne vois pas com­ment ils pourraient continuer à vendre leurs produits dans notre pays qui serait, par définition, devenu insolvable.

Avant de passer au traité d'Euratom, j'en arrive à deux points particulièrement importants du marché commun : le problème agricole et le problème des territoires d'outre-mer.

M. le président de la Commission de l'agriculture, dans une intervention qui rappelait sur beaucoup de points les préoccupations qu'il avait énoncées au mois de janvier dernier, a posé au Gouvernement un certain nombre de questions. Je lui rappelle combien, dans les négociations de Bruxelles, le gouvernement a agi en consultation étroite avec les organisations professionnelles agricoles, qui ont bien voulu, à cet égard, nous rendre un hommage répété.

Je suis profondément convaincu, moi aussi, que cette consultation ne doit pas s'arrêter au stade de la négociation et qu'avant que ne s'ouvre la conférence agricole, où seront présents les ministres de l'Agriculture de nos six pays européens, non seulement devra avoir lieu un grand débat parlementaire sur la politique agricole nationale et sur la politique agricole de la communauté, mais encore devra être pris et maintenu le contact le plus étroit avec les organisations professionnelles auxquelles faisait allusion M. le président de la Commission. [...]

Le libre jeu du marché commun, en établissant progressivement l'égalité des prix des produits industriels au sein de la communauté, mettra à la disposition des agriculteurs français des engrais et des machines, c'est-à-dire leurs instru­ments de production, aux prix mêmes auxquels pourront se les procurer les agriculteurs des pays étrangers.

Par ailleurs, pour un pays comme le nôtre dont le terroir est le plus riche, le plus apte, le plus varié, le plus susceptible d'offrir toute la gamme des produits agricoles, avoir à sa disposition, sans limitation, sans barrières contingentaires ou douanières, la masse des populations industrielles du nord de l'Europe, constitue une chance que nous devons savoir saisir, la condition étant, c'est vrai, monsieur le président de la Commission de l'agriculture, de faire une politique agricole active et raisonnable. [...]

J'en viens au problème des territoires d'outre-mer. [...]

Je veux tout d'abord dissiper un malentendu que, trop souvent, viennent développer à cette tribune les orateurs qui prétendent que nos partenaires, à la faveur du règlement qui est intervenu, vont s'emparer des territoires d'outre­mer.

Le règlement de ce problème n'est pas intervenu à la demande de nos partenaires, mais à la demande de la France et, si vous voulez tout savoir, cette solution a été la plus difficile à obtenir. Rien, par conséquent ne justifie l'accusation d'impérialisme dirigée contre certains de nos partenaires au sein de la communauté. [...]

C'est un règlement qui impose, je ne le cache pas à l'Assemblée, des sacrifices à la métropole, car sur trois points il est favorable aux territoires d'outre-mer. Je me contente de les énumérer : sur le plan des débouchés de leurs produits en Europe et sur le plan de l'augmentation des investissements dont ils ont besoin. Les territoires ont enfin la faculté de se procurer à des prix moins élevés les produits industriels sur le marché de la communauté.[...]

Mesdames, messieurs, je suis profondément convaincu que l'avenir, dans ce domaine, est aux grands ensembles et que le seul moyen qui reste à notre disposition d'éviter le tête-à-tête politique entre la France et chacun de ses territoires d'outre-mer isolément pris, qui risquerait de conduire chaque fois à la sécession, c'est d'intégrer les territoires d'outre-mer, sur un pied d'égalité dans un ensemble économique plus vaste où chacun prendrait le senti­ment de la solidarité des intérêts et accepterait spontanément de demeurer au sein d'une construction qui va dans le sens des siens.

Je veux conclure sur le marché commun. [...]

Il m'était permis de sourire lorsque j'entendais, hier soir, M. Caillavet à cette tribune - c'est le seul point sur lequel je ferai référence à son discours - déclarer qu'il était contre le marché commun à cause du danger que présente la concurrence de l'Allemagne, mais qu'il était pour une zone de libre-échange, laquelle, a-t-il dit, réserve le tarif extérieur de chacun des pays participants. [...] Mais, entre les pays membres de la zone de libre-échange, dans l'hypothèse du marché commun ou dans l'hypothèse de la zone de libre-échange, il s'agit de suppression pure et simple des droits de douane et du contingentement. (« Très bien ! très bien ! au centre ».) [...]

Et j'en viens à l'Euratom, en m'excusant, mesdames, messieurs, d'occuper aussi longuement cette tribune.

Moins important par son étendue et par ses conséquences que le marché commun, l'Euratom est pourtant essentiel à notre pays parce qu'il s'agit d'un domaine qui commande dans une très large mesure la puissance économique de la France.

En écoutant les critiques adressées à Euratom, deux points m'ont frappé.

En premier lieu, les adversaires des traités qui nous prédisent dans le marché commun les pires catastrophes en raison des faiblesses de notre économie nous prédisent les mêmes catastrophes dans le cadre de l'Euratom en raison de notre avance dans le domaine de l'énergie nucléaire.

Après quoi, il ne leur reste plus - et je pense qu'ils se reconnaîtront - qu'à affirmer leur attachement à la coopération internationale et même à l'idéal européen. [...]

Enfin, mesdames, messieurs, à ce point du débat, il me semble qu'il ne se pose plus qu'une seule question essentielle : l'Euratom est-il susceptible de favoriser ou de défavoriser le développement atomique français ? En un langage clair, ceci revient à se demander si l'Euratom compromet notre pro­gramme national civil ou militaire.

Finalement, les détracteurs les plus acharnés du Traité n'ont pour s'accrocher à leur position qu'un argument qui puisse donner lieu, sinon à une discussion sérieuse, du moins à l'apparence d'une controverse : c'est le système d'approvisionnement.

On sait l'image qu'ils nous en tracent : la France, seul pays d'Europe à pouvoir compter sur d'importants gisements d'uranium, livre son minerai à l'avidité et à la pauvreté de ses partenaires.

Que vaut cette image ?

Je rappellerai tout d'abord que si les ressources de la France et de l'outre-mer en uranium ou en thorium sont certaines, c'est faire rapidement bon marché de nos partenaires que d'affirmer leur pauvreté. Le Congo belge n'a pas échappé à la logique passionnelle que j'évoquais tout à l'heure. Pour quelques années encore, le minerai qui en provient est en grande partie réservé aux États-Unis et à la Grande-Bretagne. On nous fait valoir alors l'étendue de la perte que nous faisons. Si nous répondons que dans quelques années, en revanche, la communauté disposera de cette richesse, précisément à un moment où ses besoins seront accrus, on nous répond que, par un miracle sur lequel on ne s'explique même pas, les gisements congolais seront épuisés.

D'autre part, l'avis des experts est qu'il existe des ressources certaines en uranium en Allemagne et en Italie. Le Traité prend toutes dispositions pour favoriser la prospection et l'exploitation minières, allant jusqu'à priver de son droit à l'égal accès sur les ressources intérieures de la communauté l'État qui négligerait cette prospection et cette exploitation. Mais peu importe aux détracteurs du Traité ! Leur image n'a aucun besoin de s'appuyer sur la réalité. [...] .

Les adversaires du Traité raisonnent comme si nos mines passaient sous la direction de la communauté qui leur prescrirait les extractions à entreprendre, s'emparerait du minerai ou du métal et le répartirait entre tous les utilisateurs, en rationnant au besoin notre pays. Il n'en est rien. [...]

Il faut se défaire de l'image enfantine que serait celle d'un tas d'uranium dont la quantité serait invariable une fois pour toutes et qui appellerait le rationnement.

Le vrai problème pour l'uranium comme pour beaucoup d'autres ressources, ce n'est pas la rareté physique, mais la difficulté, la cherté des investissements pour la prospection et l'extraction. Le grand mérite du système d'approvisionnement que nous avons mis sur pied est précisément qu'il n'est pas orienté vers les ressources rares mais dans le sens du développement des ressources abondantes.

Du système d'approvisionnement, les adversaires du Traité ne retiennent qu'une face : celle qui a trait à l'égal accès aux ressources intérieures. Ils oublient l'autre : celle qui institue le monopole de l'agence pour la conclusion de contrats avec des fournisseurs tiers et le droit pour chaque utilisateur de se porter bénéficiaire de tout contrat de cet ordre. [...]

L'Assemblée est trop au fait des réalités politiques et économiques pour ne pas mesurer l'intérêt de ce résultat pour la France. Il n'est pas besoin que j'évoque plus longtemps les périls des surenchères commerciales et politiques auxquelles aurait donné lieu une course aux accords bilatéraux. [...]

J'ai montré que cette mise en commun ne portait aucune menace pour l'indépendance et la sécurité de notre effort national. Mais, indépendamment même de cette démonstration, j'ai la conviction que le résultat politique et économique obtenu par la constitution d'un front commun des six pays méritait bien la reconnaissance du principe de la communauté des ressources en minerai. [...]

Il me reste à conclure.

M. Pierre André, à la fin de son discours, nous a dit que les négociateurs du Traité avaient voulu, derrière l'apparence technique qu'il revêt, cacher des préoccupations de caractère politique.

Eh bien ! Monsieur Pierre André, les négociateurs du Traité n'ont jamais caché qu'ils avaient, au-delà de la technique, des préoccupations politiques.

Nous ne sommes pas, en effet, des Européens honteux, et ces préoccupations-là, nous les avouons. Le nom qui a été donné au projet de Messine, la « relance européenne », dit bien ce qu'il veut dire.

Nous disons que nous croyons à l'union des peuples de l'Europe et que nous croyons que la réalisation de l'Euratom et du marché commun est de nature à la favoriser, à la faciliter.

Mais ne nous faites pas dire ce que nous ne disons pas ! Demain, monsieur le ministre des Affaires étrangères reprendra ce propos. C'est d'une démarche mesurée, patiente, que doit résulter cette construction.

Pour le moment, il n'est question que du marché commun et de l'Euratom.

Le Gouvernement garde pour la suite, bien entendu, la pleine liberté de ses moyens, sa pleine souveraineté. [...]

Je crois pouvoir dire qu'un esprit communautaire a présidé, en effet, à l'élaboration de ces deux traités. Et lequel d'entre vous pourrait nier que c'est la coloration française qui les a le plus marqués et le plus inspirés ? Reprenez la presse, tous les journaux de nos six pays, au lendemain de la signature du Traité de Rome, titraient : « Coloration française des traités. » C'est dire que nous avons conscience, tout au moins, d'avoir largement défendu les intérêts de notre patrie.

Je n'ignore, certes, aucune des imperfections, aucune des lacunes de notre oeuvre. Je sais que la solution de nombreux problèmes est renvoyée. Pouvait-il honnêtement - je vous pose la question - en être autrement ? Les traités pouvaient-ils définir tout à la fois une politique économique, une politique financière, une politique agricole, une politique sociale ? Non. Les traités pouvaient fixer de grands objectifs, un cadre à l'intérieur duquel ils seront recherchés et des procédures. C'est ce qu'ils ont fait, vous avez pu en prendre conscience.

Je répondrai à ceux qui sont venus dire que rien n'était bon dans les traités, ni un article, ni un alinéa, ni même une ligne, en invoquant le vieux proverbe de Sénèque : « II ne faut jamais enseigner trop fort et qui veut trop prouver ne prouve rien. »