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Maurice Thorez : « Les prolétaires ne veulent pas la guerre » (15 juin 1934)
Le 6 février 1934 au soir, une manifestation antiparlementaire organisée par des associations d’anciens combattants et des ligues d’extrême-droite se tient à Paris, devant la Chambre des députés. Elle dégénère rapidement en émeute et fait quelques dizaines de morts et des milliers de blessés. Quelques jours après, Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste et député de la Seine, profite du débat sur les crédits militaires pour se livrer à une violente attaque contre la politique militaire du Gouvernement d’Union nationale dirigé par Gaston Doumergue. Il invite les militants de la SFIO, de la CGT et de la Ligue des droits de l’homme à rejoindre le parti communiste pour préparer une union antifasciste. Le 12 juillet 1934 est signé le pacte d’unité d’action socialo-communiste, prélude au grand défilé commun du 14 juillet 1935 et à l’élaboration d’un programme commun de Front populaire le 10 janvier 1936. |
M. Maurice Thorez : Nous considérons qu'il y a comme un défi dans cette proposition d'engloutir 3 milliards de francs dans une œuvre de guerre et de mort, dans le moment où le gouvernement dit « d'Union nationale » et sa majorité, qui n'est pas celle que les ouvriers et les paysans de France avaient voulu au mois de mai 1932, pratiquent une politique féroce contre les traitements des petits fonctionnaires, contre les retraites des anciens combattants et des victimes de la guerre, contre les allocations et les secours pour les vieux miséreux, pour les vieillards et les incurables, au moment où on supprime 5 000 postes d'instituteurs laïques, au moment où on met en pratique, en un mot, une politique d'écrasement et d'asservissement matériel et moral des classes laborieuses de ce pays.
Et nous voterons contre, également, pour des raisons doctrinales.
Ainsi, après la plus effroyable des guerres, après 10 millions de victimes en Europe, 1 million 700 000 dont les noms sont inscrits sur les monuments qu'on rencontre dans chaque petit village de France, après les monceaux de ruine et les torrents de sang, de 1914 à 1918, après les paroles hypocrites sur la dernière des guerres, après la comédie du désarmement de Genève, voilà enfin que cette vérité éclate aux yeux des masses laborieuses de tout le pays : le résultat de votre politique après la guerre, c'est encore la guerre, et les prolétaires ne veulent pas la guerre, ils s'opposent à la guerre. (Applaudissements à l'extrême gauche communiste. Interruptions à droite.)
Voilà que Versailles offre ses fruits amers et empoisonnés. Nous savions, nous, communistes, que Genève n'aurait pas donné la paix. Nous n'avons pas oublié cette parole de Jaurès, dont on parle souvent en l'oubliant un peu :
« Le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l'orage. »
Nous n'avons pas, non plus, oublié ce que Lénine, notre maître, nous a enseigné en 1918 : si le socialisme ne triomphe pas à travers l'Europe, la paix entre les nations capitalistes ne sera qu'une trêve, que la préparation vers des carnages plus terribles et plus sanglants encore. » (Applaudissements à l'extrême gauche communiste.)
Voilà que cette vérité éclate aux yeux des prolétaires et, avec ce rappel de Lénine nous affirmons hautement (Exclamations à droite), Oh !, pas pour ceux dont les ricanements ne nous importent guère, mais pour les prolétaires qui nous entendent par-dessus vous, nous redisons notre hostilité à la défense nationale.
Nous ne souscrivons pas à la théorie qui veut identifier les intérêts des prolétaires, des travailleurs des villes et des champs, à ceux de leurs exploiteurs capitalistes. (Applaudissements à l'extrême gauche communiste.)
Nous ne voulons pas un seul instant croire à la défense nationale. Nous en sommes restés, nous, communistes, à cette phrase du manifeste communiste de Marx :
« Les prolétaires n'ont pas de patrie. »
À droite : Alors que faites-vous ici ?
M. Maurice Thorez : Si vous m'objectez la patrie soviétique, je vous répondrai que, là-bas, les prolétaires sont au pouvoir et en ont chassé vos amis.
Ici, nous affirmons notre préoccupation exclusive : servir les intérêts de la classe ouvrière et des masses laborieuses.
Les prolétaires de France, les paysans ont senti instinctivement la poussée vers la guerre, et ils sentent aussi que cette poussée vers la guerre est un des éléments de la poussée vers le fascisme.
Le fascisme, c'est votre offensive de capitalistes contre les prolétaires des usines et des campagnes, contre les libertés de la classe ouvrière.
Le fascisme, c'est aussi la guerre, et ce n'est pas pour le prolétariat une mince indication que de trouver ses ennemis les plus féroces parmi les champions du fascisme et les tenants du nationalisme, qui jetteraient de nouveau le pays à la guerre si nous, prolétaires, n'étions pas capables de nous y opposer.
À la poussée du fascisme, à la poussée des bourgeois et de leurs domestiques vers la guerre, correspond heureusement, en effet, dans tous les pays, la poussée vers l'unité de la classe ouvrière, la poussée vers l'unité des prolétaires et des masses paysannes.
Les ouvriers sentent que l'unité de leurs forces, leur unité dans la bataille, leur unité dans un seul syndicat, leur unité dans un seul parti de classe, sera une arme essentielle pour la lutte contre la guerre, contre les bandes fascistes, auxquelles les ouvriers sont décidés à s'opposer de toutes leurs forces. (Applaudissements à l'extrême gauche communiste.)
L'ignorez-vous, par hasard, vous dont les porte-parole à travers le pays, témoin monsieur Henriot, sont reçus comme vous le savez dans les manifestations, vous à qui nous pourrions peut-être poser cette question : « Êtes-vous les provocateurs responsables du sang versé par la classe ouvrière ? »
Je me permets, au nom du comité central de mon parti, de me tourner maintenant vers vous, socialistes, vers la direction qualifiée de votre parti, pour vous dire : « Nous avons eu, ces jours-ci, des conversations... » (Mouvements divers.) Elles ne sont pas si fréquentes que nos collègues ne sachent pas de quoi il s'agit. »
Chacun comprend le souci qui m'anime. Je désire que les paroles prononcées en ce moment par le représentant du Parti communiste aillent, par-dessus cette Chambre, vers les ouvriers qui veulent s'unir et se battre contre la bourgeoisie.
Je me tourne donc vers le Parti socialiste et je lui dis franchement et ouvertement : « Vous voulez lutter avec le Parti communiste contre la bourgeoisie. Vous voulez lutter avec le Parti communiste contre les menaces fascistes. Vous voulez lutter avec le Parti communiste contre les menaces de guerre. Nous voulons lutter avec vous, Parti socialiste, si vous êtes décidés à vous battre contre la bourgeoisie. (Applaudissements à l'extrême gauche communiste.) Vos représentants ne nous ont posé, dans ces conversations, qu'une seule question. Ils nous ont demandé : " Êtes-vous décidés à renoncer à toute polémique ? " Ils ont ajouté : " ... de caractère diffamatoire ou injurieux ? " »
M. Louis Aubert : Réglez cela entre vous !
M. Maurice Thorez : Peut-être avez-vous l'habitude de négocier dans les couloirs. Nous, nous avons l'habitude de négocier au grand jour, devant la classe ouvrière.
Nous avons répondu : « Il ne dépend que de votre volonté d'élargir loyalement, ensemble, la lutte contre la bourgeoisie. »
Nous avons ajouté dans ces conversations -je regrette d'ailleurs que monsieur Blum ne soit pas présent, je ne lui en fais aucun grief : « La vie posera des problèmes où chacun de nos deux partis répondra de façon différente devant la classe ouvrière. »
Or, vous sentez bien que nous sommes en face d'un de ces problèmes, et qu'il est posé non pas pour l'Assemblée, mais pour tout le pays. Vous y répondez de façon différente. Vous avez tenu à souligner - c'est votre droit - que vous étiez les hommes de la défense nationale. Bien ! Pour nous, nous sommes contre la défense nationale.
Nous avons dit : « Nous sommes, nous, les partisans de Lénine, les partisans du défaitisme révolutionnaire. »
C'est votre droit, c'est notre droit.
Mais, si vous êtes d'accord avec nous pour lutter contre l'utilisation des crédits que cette Chambre va donner à ce gouvernement qui prépare la guerre ; si vous êtes d'accord pour lutter contre la défense passive, contre les manœuvres aériennes, contre les dangers que ces gens-là font courir au peuple laborieux, alors bien que vous soyez partisans de la défense nationale, nous pouvons nous entendre. (Mouvements divers.)
La classe ouvrière nous entendra. (Rires et interruptions au centre et à droite.)
Riez, messieurs les bourgeois, mais c'est la classe ouvrière qui rira en dernier lieu !
Les prolétaires de ce pays nous entendent. Demandez donc à votre ministre de l'Intérieur le sentiment des ouvriers et des paysans.
M. Jean Lerolle : Vous les calomniez !
M. Maurice Thorez : Demandez aussi à votre ami Henriot si ce sentiment correspond à celui de la bande que vous vouliez entraîner ici le 6 février, non pas à l'assaut du Parlement, mais à l'assaut de la classe ouvrière. (Applaudissements à l'extrême gauche communiste. Interruptions à droite et au centre.)
La classe ouvrière a répondu dans de nombreuses démonstrations ; il n'est pas de jour qu'elle ne lutte et qu'elle ne manifeste, pas de jour qu'elle ne s'organise.
Ouvriers, paysans, intellectuels, soldats, tous s'unissent pour lutter contre la guerre.
Nous, Parti communiste, mettant au-dessus de tout notre volonté de nous opposer à la guerre, de nous opposer au gouvernement dit « d'union nationale » qui prépare le fascisme et la guerre, notre volonté d'assurer la défense de l'Union soviétique, car le secours de l'Union soviétique vient essentiellement de l'appui moral de millions d'ouvriers et paysans qui sympathisent avec les soviets, nous sommes désireux de nous battre contre vous et, avec les ouvriers socialistes, avec les ouvriers confédérés, avec les ouvriers ligueurs, avec tous ceux que votre politique veut conduire à la guerre, la main dans la main nous vous abattrons et nous ferons les soviets. (Applaudissements à l'extrême gauche communiste.)