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Mirabeau : Éloge funèbre de Benjamin Franklin (11 juin 1790)
Philosophe, écrivain, savant, humaniste, Benjamin Franklin fut l'un des pères de l'indépendance américaine. La nouvelle de sa mort parvient en France le 11 juin 1790. Benjamin Franklin fut le premier ambassadeur des États-Unis à la cour du roi de France. Il fut même le seul Américain à avoir signé les quatre actes fondateurs des États-Unis d'Amérique : la Déclaration d'indépendance en 1776, le traité d'alliance avec la France en 1778, le traité de paix avec l'Angleterre en 1783 et la Constitution des États-Unis en 1787. Lors de son séjour en France, de 1776 à 1785, il bénéficia d'une immense aura, avant de devenir sous la Révolution française le héros politiques des temps nouveaux. A l'Assemblée nationale, Mirabeau (voir biographie de Mirabeau), bouleversé et malade, prononce à la tribune l'éloge funèbre de Franklin. C'est le premier éloge funèbre prononcé à l'Assemblée nationale. Le style est ici celui des oraisons funèbres de Bossuet. Mirabeau, approuvé par La Fayette et La Rochefoucauld, propose que l'Assemblée nationale prenne le deuil pendant trois jours. |
M. le comte de Mirabeau. M. le Président je demande la parole avant l'ordre du jour : je ne la tiendrai que pendant deux minutes. (on demande encore l'ordre du jour)
(M. de Mirabeau paraît à la tribune, au milieu des murmures tumultueux d'une partie de l'Assemblée)
M. le comte de Mirabeau. Franklin est mort... (il se fait un profond silence) Il est retourné au sein de la Divinité, le génie qui affranchit l'Amérique et versa sur l'Europe des torrents de lumières !
Le sage que deux mondes réclament, l'homme que se disputent l'histoire des sciences et l'histoire des empires, tenait sans doute un rang bien élevé de l'espèce humaine.
Assez longtemps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre ; assez longtemps l'étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites : les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs ; les représentants des nations ne doivent recommander à leurs hommages que les héros de l'humanité.
Le Congrès a ordonné, dans les quatorze États de la confédération, un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et l'Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération et de reconnaissance pour l'un des pères de sa constitution.
Ne serait-il pas digne de vous, Messieurs de vous unir à l'Amérique dans cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu à la face de l'univers, et aux droits de l'homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre ? L'antiquité eût élevé des autels au puissant génie qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. L'Europe, éclairée et libre, doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l'un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté.
Je propose qu'il soit décrété que l'Assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin.
(La partie gauche applaudit avec transport)
(MM. de La Rochefoucauld et de La Fayette se lèvent pour appuyer la proposition de M. de Mirabeau : tout le côté gauche se lève)
M. Moreau (de Tours). Je veux, non contredire la motion, mais la compléter.
M. Legrand. Je demande si M. Franklin est réellement mort, et si sa mort a été notifiée à l'Assemblée nationale par le Congrès ?
M. le comte de Mirabeau. MM. de La Rochefoucauld et de La Fayette, amis de ce grand homme, ont été instruits de sa mort. Cette triste nouvelle a été écrite à M. de La Rochefoucauld par
M. Landowsne. Ainsi cette perte n'est que trop sûre ; mais j'aurai l'honneur d'observer que si, par impossible, cette nouvelle est fausse, la sollicitude qu'on montre est de peu d'importance ; car votre décret ferait peu de peine à M. Franklin.
L'Assemblée adopte par acclamation la motion de M. le comte de Mirabeau et rend le décret suivant :
« L'Assemblée nationale décrète que ses membres porteront trois jours le deuil de Benjamin Franklin, à commencer de lundi prochain ; que le discours prononcé à cette occasion sera imprimé, et que M. Le Président écrira au Congrès américain au nom de l'Assemblée nationale. »